Le bagne était un lieu de bannissement utilisé par le pouvoir annamite avant la colonisation française. Il fut réutilisé par les Français dès 1862[3],[4], avec l'arrivée du premier convoi de forçats[5], après le traité de Saïgon et est resté en activité jusqu’en 1975[6]. La construction d'un établissement pénitentiaire débute en 1880 avec l'objectif caractérisé de rendre les évasions impossibles[7]. En 1898, un rapport fit état d’un taux de mortalité de 70 %[8]. En 1940, de nouveaux bâtiments sont érigés. Certains prisonniers y étaient enfermés dans des « cages à tigre », ce qui les a rendus paraplégiques, ayant perdu l'usage des membres inférieurs après des années en position accroupie, sans pouvoir se lever et utiliser leurs jambes[9].
La brutalité des conditions de détention fut reconnue par les autorités coloniales. Le commandant Tisseyre, qui dirigea le bagne durant la Seconde Guerre mondiale, témoigne : « Il y avait 5 000 bagnards. On les laissait mourir (…). Le mois de mon arrivée, 172 décès ; c’étaient des locaux pour 25 ou 30 détenus ; j’en ai trouvé 110, 120, 130. Un médecin indochinois m’a raconté qu’il lui était arrivé de trouver un matin sept cadavres au bagne des politiques »[8].
Aujourd'hui, un musée est aménagé dans les bâtiments du bagne, les infrastructures ayant été conservées et ouvertes au public[10],[11].
Prisonniers célèbres
De nombreux opposants à la colonisation y sont emprisonnés, et notamment des membres du Việt Minh, comme Phạm Văn Đồng, Lê Đức Thọ et l'épouse de Võ Nguyên Giáp, qui rend le régime colonial responsable du décès de sa première épouse morte en prison en 1941 et du décès de sa belle-sœur guillotinée pour nationalisme à Saïgon par l’administration coloniale française.
De nombreux artistes furent enfermés voire périrent à Poulo Condor[12], notamment les grands lettrés réformistes du début du siècle Phan Châu Trinh, Huynh Thuc Khang, Ngô Duc Kê, Trân Cao Van, Nguyên Can Dang, Luong Van Can, Ngô Quyên.
À partir de 1935, le bagne voit l'arrivée de prisonniers politiques. Regroupés au bagne II, nationalistes et communistes s’y retrouvent contraints au dialogue et à la solidarité, face aux terribles épreuves sans doute égales en souffrance et cruauté aux bien plus célèbres bagnes coloniaux français à Cayenne, en Guyane.
Le journaliste Trân Huy Liêu et d'autres membres de l'intelligentsia révolutionnaire sont de brillantes personnalités, comme Doan Kiên Diêm, Nguyễn Ngọc Son, Nghiêm Toan pour les nationalistes, Phạm Văn Đồng, Ngô Gia Tu, Nguyên Van Cu, Bui Cong Trung, Lê Duẩn, Lê Thanh Nghị, etc., pour les communistes et à partir de 1941 Tạ Thu Thâu, Trân Van Thach pour les trotskystes, ou l’influent journaliste, écrivain et poète Nguyễn An Ninh[12],[13] mort en détention, et dont la dépouille fut occultée, selon certains témoignages, sous ordre du commissaire à la sureté, Tisseyre[14], acquitté par la suite par la Cour de justice de l'Indochine[15].
L'écolière Võ Thị Sáu y est enfermée avant d'y être abattue le 23 mars 1952[16].
En juillet 1968, Võ Thị Thắng fut arrêtée par les autorités sud-vietnamiennes et condamnée par un tribunal militaire à 20 ans de travaux forcés au bagne de Poulo Condor.
La multiplication de ces prisonniers politiques à Poulo Condor fut, selon la plupart des historiens contemporains, un des plus puissants germes de la préparation à la révolution communiste et à la lutte armée[17] qui suivra l'occupation japonaise de l'île et la collaboration pétainiste successive des autorités françaises[18]. Cette thèse est reprise dans le film Indochine en 1992.
↑Georges Taboulet, « Quelques livres sur l'Histoire de l'Indochine (jusqu'en 1914) [Rémy. — Un architecte de Dieu, le Père François Pallu ; René Maran. — Pigneaux de Behaine ; J.-P. Faivre. — L'expansion française dans le Pacifique de 1800 à 1842 ; Tban Minh Tiet. — Histoire des persécutions au Viet-Nam ; Serge Ouvaroff. — Le temps des conquêtes ; Roger Vercel. — Francis Garnier à l'assaut des fleuves ; Jouan. — Courbet ; Georges G. Toudouze. — La vie héroïque de l'Amiral Courbet ; Marc Benoist. — Un marin légendaire, Courbet ; Paul Chack. — Courbet, le vainqueur de Fou-Tchéou ; Claude Farère. — L'amiral Courbet vainqueur des mers de Chine ; J.-C. Demariaux. — Les secrets de Poulo-Condore, le grand bagne Indochinois ; Etienne Tardif. — La naissance de Dalat, 1899-1900, capitale de l'Indochine, 1946 ; Robert Mangin. — L'Indochine ; Le Thanh Khoï. — Le Vietnam, Histoire et civilisation, Tome 1er, Le milieu et l'histoire ; Louis Bezacier. — L'art vietnamien ; P. Suvanis. — Les relations entre la France et la Thaïlande au XIXe siècle, d'après les archives des Affaires Étrangères] », Revue d'histoire des colonies, vol. 43, no 152, , p. 453–478 (ISSN0399-1385, DOI10.3406/outre.1956.1266, lire en ligne, consulté le )
↑Pierre Boulle, Aux sources de la rivière Kwai, Paris, Pocket, , 214 p. (ISBN2-266-00968-0)
↑(1826-1898) Marquis , Aide de Camp du Général Faron (1871), Lieutenant Colonel de l'Infanterie de Marine (3 avril 1880 - au 3ème RIMA), Résident du Protectorat Français de Porto-Novo (juillet 1884-1886)
↑Charles Morizet, initialement notaire à Reims, père d'André Morizet (1876-1942) lire en linge.
↑Lieutenant d'infanterie de marine, directeur du bagne de Poulo-Condor, assassiné par un condamné aux travaux forcés, cité dans l'édition numéro 13 de La Jeune Asie. Économique, politique et sociale. Au service de l'oeuvre française en Indochine du 11 décembre 1919 Consulter en ligne sur gallica.bnf.fr.
↑capitaine condamné en correctionnelle pour prévarication et coups à gardiens lire en ligne puis colonel de la légion étrangère Consulter en ligne sur gallica.bnf.fr.
Riz noir, un roman d'Anna Moï consacré à deux jeunes femmes internées à Poulo Condor.
Jean-Claude Demariaux, Les Secrets des îles Poulo-Condore : Le grand bagne indochinois, J. Peyronnet, 1956, 287 p., (ISBN978-2402187893), Lire en ligne sur gallica.bnf.fr.
Maurice Demariaux (fils du précédent), Poulo Condore, archipel du Vietnam, L'Harmattan, 1999, (ISBN2738482546).
Michel Pierre, Le temps des bagnes, 1748-1953, Tallandier, 2017, 525 p., (ISBN1021036226).
Frédéric Angleviel, Poulo Condore. Un bagne français en Indochine, Vendémiaire, 2020, (ISBN978-2363583406).