Affaire du talc MorhangeL’affaire du talc Morhange concerne un cas d'empoisonnement de nourrissons par du talc en France durant les années 1970, conduisant à la mort de 36 enfants et à l'intoxication de 168 autres puis à l'indemnisation, six ans plus tard, des familles des victimes[1], sous la pression d'enquêtes menées par le journalisme d'investigation. Les condamnés en justice ont bénéficié en 1981 d'une amnistie, sur proposition du nouveau Garde des Sceaux, Robert Badinter, par ailleurs avocat de la firme[2]. Les pouvoirs publics ont en outre décidé de renforcer les conditions de mise sur le marché de nouvelles molécules[3]. L'affaireLe Monde fait remonter les premières atteintes — « éruptions, diarrhées, convulsions, coma » — en avril-mai 1972 dans les Ardennes et dans l'Aube, sans y trouver d'explication[4]. Les médecins adressent les bébés au Pr Stéphane Thieffry (Hôpital Saint-Vincent-de-Paul), qui le 1er juillet alerte le ministère de la santé sur ces affections inexpliquées[4]. Le , les analyses arrivent à leur conclusion[4]. Une enquête de l'Inserm menée par le Dr Gilbert Martin-Bouyer établit que ces morts sont dues au talc Morhange et à la présence dans celui-ci d'hexachlorophène, bactéricide puissant, en concentration excessive[5]. Le gouvernement réagit immédiatement et fait supprimer toutes les boîtes de talc Morhange du marché[2]. À l'époque, la toxicité de l'hexachlorophène n'était pas connue du grand public. Une étude non publiée menée sur des cochons d'Inde en 1939 montrait qu'une dizaine d'entre eux étaient morts dans les trois jours suivant l'ingestion du produit. L'enquête révèle qu’une erreur de manipulation a conduit à mélanger 38 kilos d'hexachlorophène, produit hautement toxique, à 600 kilos de talc. Plus de 200 enfants sont atteints (mort, coma ou séquelles neurologiques)[6]. La présence d'hexachlorophène dans l'usine était connue, mais la teneur de ce composant dans le produit fini devait être très faible ; l'erreur de manipulation a consisté à mélanger un bidon de talc normal avec un fond de bidon d'hexachlorophène, croyant que ce dernier bidon contenait du talc. Cette erreur conduisit à la mise en circulation de flacons ayant une teneur anormalement élevée de bactéricide. La toxicité des flacons incriminés n'était donc pas due au fait qu'ils contenaient de l'hexachlorophène, mais à la quantité qu'ils en contenaient. La découverte de cette erreur a nécessité plusieurs mois d'investigations, suivis de près par des journalistes, et a permis de comprendre la cause des décès de nourrissons. Le produit ne présentait à l'époque aucun danger particulier dans sa composition nominale. La firme Morhange, qui commercialisait le produit, ne disposait ni des équipements ni du personnel compétent pour mener des contrôles de conformité, pas plus que la société de conditionnement, Setico[4]. Via Setico transitait également l'hexachlorophène, commercialisé par l'entreprise suisse Givaudan[4]. Les différents produits transitant par le hangar de Setico étaient stockés dans le plus grand désordre[4],[7]. À l'époque, la législation ne classait pas l'hexachlorophène parmi les substances dangereuses, carence comblée ensuite en et [4]. L'affaire mit sept ans à être jugée. La société Givaudan et son directeur, M. Flahault, furent mis en cause et poursuivis. De nombreuses familles, de guerre lasse, abandonnèrent les poursuites et se contentèrent des indemnités proposées. Mais c'est seulement six ans après le drame que le suisse Givaudan, filiale du groupe multinational Hoffmann - Laroche, l'une des trois sociétés impliquées, a décidé de proposer d'indemniser, avant toute décision de justice, les familles des victimes[1]. L'affaire fut jugée en . M. Flahault était défendu par Robert Badinter qui déclara : « Ce n'est pas une société qui est jugée mais un homme, je me sens le devoir de défendre cet homme[8]. » Le principe de responsabilité pénale des personnes morales n'existant pas encore en droit français, seuls des individus pouvaient en effet être poursuivis. La société commercialisant le produit, Morhange, et la société de conditionnement, Setico, n'étaient ni solvables ni assurées contre une catastrophe de cette ampleur[4]. Certains auteurs établissent un parallèle entre cette affaire et celle de la poudre Baumol, un autre empoisonnement au talc qui s'est produit en 1952[9],[10]. Condamnation et amnistieLe jugement condamne les cinq inculpés à des peines de prison (un à vingt mois, réduites en appel à douze mois). En 1981, François Mitterrand, devenu président de la République, décide d'amnistier définitivement tous les condamnés, sur proposition de son nouveau Garde des Sceaux, Robert Badinter, par ailleurs avocat de la même firme[2]. Cette affaire a contribué à inciter les pouvoirs publics à renforcer les conditions de mise sur le marché de nouvelles molécules. En particulier, l'usage de produits toxiques dans les cosmétiques a été davantage réglementé[3]. Un suivi avait été mis en place pour évaluer les troubles de l'apprentissage et les difficultés cognitives dont souffrent encore les victimes, mais fut finalement abandonné faute de moyens[2]. Effets collatérauxLa marque de dentifrice Signal axait alors sa publicité sur le fait que ses rayures rouges contenaient de l'hexachlorophène. Bien qu'aucun problème n'ait été signalé sur son produit, elle décida pour éviter toute connotation fâcheuse de faire disparaître le nom de ce bactéricide de sa communication[11]. Notes et références
AnnexesBibliographie
Documentaire télévisé
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