Le maximum de densité de l'eau est une particularité de l'eau liquide située aux environs de 4 °C à pression atmosphérique et due à une anomalie dilatométrique : entre 0 °C (point de fusion) et 4 °C la masse volumique de l'eau croît, ce qui est extrêmement rare, et au-delà de 4 °C elle décroît normalement. Le coefficient d'expansion thermique de l'eau liquide est donc négatif en dessous de 4 °C et positif au delà. La température de ce maximum diminue quand la pression augmente, et dans les solutions aqueuses elle diminue aussi, presque toujours, quand la concentration du soluté augmente.
Histoire
Parmi les nombreuses particularités physico-chimiques de l'eau[1], les plus anciennement connues sont qu'à 0 °C l'eau liquide est plus dense que la glace, et qu'au-dessus de 0 °C sa masse volumique passe par un maximum aux alentours de 4 °C : elles sont discutées par Galilée en 1612[2] et par l'Accademia del Cimento en 1666[3].
L'influence de la présence de solutés sur le maximum de densité de l'eau et sur la température de ce maximum est étudiée dès la fin du XVIIIe siècle[5]. En 1839, César-Mansuète Despretz publie la première étude systématique[6], où il établit expérimentalement la relation aujourd'hui appelée loi de Despretz. Pour tous les solutés qu'il considère, leur effet est d'abaisser la température du maximum.
À la pression atmosphérique ordinaire (1 atm), la valeur du maximum établie en 2001 est de = 0,999 974 95(84) g/cm3 et la température du maximum de = 3,983 035(670) °C[10],[c].
En 2010, la densité de l'eau pure, y compris surfondue, est mesurée à des températures de 200 à 275 K et des pressions de 40 à 400 MPa : diminue quand la pression augmente, jusqu'à 250 K à 100 MPa[11].
est une constante caractéristique du soluté, appelée constante de Despretz.
Les valeurs de mesurées par Despretz sont toutes négatives, c'est-à-dire que tous les solutés qu'il a étudiés induisent une diminution de lorsque la molalité augmente. Les travaux ultérieurs confirment ce comportement, à l'exception de l'éthanol à faible concentration[12],[13].
Interprétation
L'eau liquide à basse température et basse pression présente grâce aux liaisons hydrogène une structure assez ordonnée qui ressemble localement à l'arrangement tétraédrique des molécules de la glace (mais sans ordre à grande distance), ce qui la rend moins dense qu'à des températures plus élevées. À mesure que la température augmente, cet ordre local est détruit et l'empilement des molécules d'eau devient plus compact, ce qui entraîne une augmentation de la densité malgré celle de l'agitation thermique : le coefficient d'expansion thermique est négatif (anomalie dilatométrique). Quand l'ordre local finit de disparaître, il ne reste plus que l'effet de l'augmentation de l'agitation thermique : le coefficient d'expansion thermique redevient positif au-dessus d'une certaine température, , pour laquelle la masse volumique de l'eau atteint un maximum, . Une forte pression contrecarre la structure ordonnée, plus ouverte que l'empilement désordonné des molécules : diminue quand la pression augmente[14].
Les théories thermodynamiques les plus couramment acceptées en 2024, qui expliquent l'ensemble des particularités de l'eau liquide, prédisent l'existence d'une transition de phase entre les deux variantes structurelles de l'eau, mais à basse température et haute pression, dans des conditions où l'eau liquide est profondément[d]métastable (surfondue), ce qui rend difficile l'observation expérimentale de la transition[15]. La coexistence des deux liquides a néanmoins pu être observée en 2020[16], avec un point critique estimé à 200 K et 150 MPa[15],[e].
Notes et références
Notes
↑Le litre sera désormais défini comme un synonyme du décimètre cube.
↑La disparité entre le litre (défini par référence au volume massique de l'eau) et le décimètre cube (dérivé de la définition du mètre) est déjà connue en 1901, mais jugée insignifiante pour les applications pratiques[7]. En 1964 la disparité mesurée s'est aggravée, et une définition séparée du litre est désormais jugée malencontreuse.
↑Dans les notations et , l'indice MD est le sigle de l'anglais maximum density (« masse volumique maximale »).
↑On qualifie couramment de « profonde » la métastabilité d'une phase dans des conditions de température et de pression où elle est très éloignée de l'équilibre.
↑La coexistence de deux phases liquides distinctes n'est prédite — et observée — qu'à ces basses températures et hautes pressions, dans les conditions ambiantes les deux formes coexistent mais au sein d'une phase liquide unique[17].
Références
↑(en) Ivan Brovchenko et Alla Oleinikova, « Multiple phases of liquid water », ChemPhysChem, vol. 9, no 18, , p. 2660-2675 (DOI10.1002/cphc.200800639).
↑(it) Galileo Galilei, Delle cose che stanno su l'acqua [« Des choses qui sont sur l'eau »], Florence, .
↑Malte-Brun, Géographie universelle ou Description de toutes les parties du monde, t. I, Paris, Publications illustrées, , 351 p. (lire en ligne), p. 333.
↑(en) M Tanaka, G Girard, R Davis, A Peuto et N Bignell, « Recommended table for the density of water between 0 °C and 40 °C based on recent experimental reports », Metrologia, vol. 38, no 4, , p. 301–309 (DOI10.1088/0026-1394/38/4/3).
↑(en) Jacobo Troncoso et Diego González-Salgado, « The temperature of maximum density for aqueous solutions », The Journal of Chemical Physics, vol. 160, no 10, , p. 1-16, article no 100902 (DOI10.1063/5.0180094).
↑ a et b(en) Paola Gallo, Katrin Amann-Winkel, Charles Austen Angell, Mikhail Alexeevich Anisimov, Frédéric Caupin et al., « Water: A Tale of Two Liquids », Chemical Reviews, vol. 116, no 13, , p. 7463-7500 (DOI10.1021/acs.chemrev.5b00750).
↑(en) Kyung Hwan Kim, Katrin Amann-Winkel, Nicolas Giovambattista, Alexander Späh, Fivos Perakis et al., « Experimental observation of the liquid-liquid transition in bulk supercooled water under pressure », Science, vol. 370, no 6519, , p. 978-982 (DOI10.1126/science.abb9385).
↑(en) Megan J. Cuthbertson et Peter H. Poole, « Mixturelike Behavior Near a Liquid-Liquid Phase Transition in Simulations of Supercooled Water », Physical Review Letters, vol. 106, , article no 115706 (DOI10.1103/physrevlett.106.115706).