J.A. Martin[1] (né André Paul Martin à Paris le et mort en mer le ) est un explorateur polaire français, l’un des instigateurs du retour de la France en Terre Adélie en 1950.
Démarrant dans la vie comme comptable[4], il se prend « à rêver d'évasion vers les solitudes neigeuses » dès 1929[5]. C'est probablement ce qui le fait devancer l'appel pour effectuer deux ans plus tard son service militaire à Gap au 11e bataillon de chasseurs alpins[4]. En 1933, il est suffisamment bon skieur pour rallier Briançon à Nice[5], tout comme il le fera en 1939 en allant de Chamonix à Zermatt par la Haute Route[6].
Entre temps, Martin se trouve embauché aux P.T.T.[7] avant de devenir secrétaire-greffier au Palais de justice[4],[8]. Dès ses débuts dans le journalisme de sport en 1936[9], il adopte le surnom de « J.A. » qui ne le quittera plus, sans que personne ne connaisse au juste sa signification[1]. Snobant ceux qu'il appelle les « pistards » — les adeptes du ski de piste et des remontées mécaniques —, ses articles dans l’hebdomadaire Sports d'hiver militent pour une pratique éclairée du ski de randonnée[10].
Le Club alpin français
Il œuvre pendant la guerre au sein de la section parisienne du Club alpin français (CAF), où il anime un « groupe cyclo-campeur » qu'il emmène régulièrement en excursion[11]. En 1944, il constitue avec Robert Pommier et Yves Vallette, deux camarades du CAF, un groupe baptisé « G.F.A. » (pour « Groupe Froid et Altitude »)[12], avec l'intention « d'aller, dès la guerre finie, explorer les régions froides ou montagneuses du globe »[13].
Il est à la Libération l'un des fondateurs du Bleausard, un périodique satirique sur l'escalade[14], et on le retrouve à Chamonix dès août 1945 comme conseiller technique d'Alain Pol qui tourne l'Appel des cimes, avec dans les rôles principaux Pierre Allain, Jacques Poincenot et Guy Poulet, trois des plus brillants alpinistes français de l'époque[15],[16]. C'est là son premier contact avec le monde du cinéma.
De 1946 à 1948, tout en continuant à écrire pour le mensuel Camping plein air, Martin fait partie du comité de direction de la section parisienne du CAF[17], organisant durant cette période plusieurs courses sur glacier dans les Alpes autrichiennes qu’il fréquente depuis 1935[18],[10]. C'est à cette même époque qu'il recueille chez lui, rue Croulebarbe, sa grand-mère maternelle octogénaire[19].
Le « Spitz »
La région peu explorée du nord du Spitzberg avait retenu initialement l'attention du G.F.A. Mais la plupart des membres du groupe renoncent finalement[20], et les trois fondateurs se retrouvent seuls à vouloir aller au bout du projet. Ils parviennent cependant à nouer des contacts scientifiques, entre autres avec le général Perrier, président de la Société de géographie, qui accepte de patronner l'expédition[21].
En mai 1946, Martin, Pommier et Vallette se mettent en route pour le Spitzberg[22]. Ils parviennent à embarquer à bord d’un contre-torpilleur de la Marine nationale qui part célébrer le sixième anniversaire de la bataille de Narvik. Un baleinier norvégien coopératif les emmène ensuite à Longyearbyen[23], avant qu'une vedette militaire ne les dépose dans la baie du Petunia, tout au fond du Billefjord[24].
Au cours de l'été 1946, ils créent l'exploit en parcourant 500 km à ski à travers la Nouvelle-Frise et la terre Margareta, les régions les moins connues du nord-est du Spitzberg[8]. Tractant un traîneau, ils gravissent le mont Newton, point culminant de l'île[25], d'où ils repèrent un autre sommet qui leur semble plus élevé[26]. Ils le baptisent « mont Général-Perrier » (Perriertoppen), du nom de leur patron mort quelques mois plus tôt[27]. Ils atteignent le cap Fanshawe, tout au nord de la terre Margareta, avant de revenir à leur camp de base sur le Billefjord[24].
La Terre Adélie
La genèse du projet
De retour à Oslo, les « Trois du Spitz » sont intrigués par un article de journal norvégien trouvé dans un caniveau : la revendication territoriale sur la Terre Adélie décrétée par la France en 1924 y est contestée par la Norvège, sous le prétexte que la France n'y a pas repris pied depuis sa découverte par Dumont d'Urville en 1840. Cela incite Martin, Pommier et Vallette à organiser une expédition de reprise de possession[28]. Pommier, qui s'est occupé des chiens de traîneau de Paul-Émile Victor après sa traversée du Groenland en 1936[13], renoue le contact avec l'explorateur, et l'idée d'un projet d'expédition en Antarctique fait son chemin. En , la fondation des Expéditions polaires françaises (E.P.F.) par Victor va permettre de le réaliser[29].
Victor, qui prépare pour l'été 1948 une nouvelle expédition au Groenland, délègue à André-Frank Liotard, l'une des quatre personnes qui l’épaulent initialement, le soin d'organiser la deuxième expédition antarctique française en Terre Adélie (TA 2[30]). Martin en devient vite la cheville ouvrière : secondant Liotard, il « trouve dans la préparation de [la mission] un magnifique champ d'action pour son dynamisme et son expérience »[8],[31].
Les expéditions TA 2 et TA 3
Après un départ retardé par le mauvais état du Commandant Charcot, un ancien mouilleur de filets anti-sous-marins américain converti en navire polaire, l'expédition TA 2 quitte Brest le . Elle compte au total 62 personnes, dont 11 doivent débarquer et hiverner. Dans ce dernier groupe, Martin est chargé du cinéma et de l'intendance. Mais l'état des glaces en cet été austral 1948-1949 s'avère catastrophique, et le navire, bloqué par une cinquantaine de kilomètres de banquise, ne peut atteindre la côte antarctique[32]. Ce qui est manifestement un échec sera qualifié par les E.P.F. d'« expédition préparatoire ».
Le , et malgré une hypertension jugée alarmante par les médecins[33], Martin embarque à nouveau sur le Commandant Charcot avec la troisième expédition antarctique française en Terre Adélie (TA 3). Mais il ne verra jamais le continent antarctique : le ,
alors que le navire se trouve à 500 km au nord-ouest du Cap[34], Martin succombe à une hémorragie cérébrale. Son corps est débarqué au Cap, où il est enterré quatre jours plus tard[8],[35].
Pour Robert Guillard, qui a côtoyé Martin au siège parisien des E.P.F. alors qu'il se préparait lui-même à partir au Groenland, celui-ci « gardait ses distances, ignorant le clan des « nordistes » »[36]. De leur côté, Vallette et Pommier se souviennent de lui comme d'un compagnon dévoué qui « n’aimait vivre que « pour » les autres ». Martin a traversé le Spitzberg avec « [de] vieux skis tout usés, son veston de ville et sa cravate », disant qu’il ne fallait pas se prendre trop au sérieux. Il n'avait pas son pareil pour choisir infailliblement un itinéraire en montagne, sans jamais mettre en danger les centaines de personnes qu'il a pu guider à travers les Alpes françaises, suisses, italiennes et autrichiennes[37].
Un film de Luc-Marie Bayle (Commandant Charcot Terre Adélie 1949) retrace le voyage du Commandant Charcot au cours de l'été austral 1949-1950[38].
Postérité
Trois mois après sa mort, et après accord du ministre de la France d'Outre-mer, la première base scientifique française établie en Terre Adélie en janvier 1950 est baptisée Port-Martin[39]. Ravagée par un incendie en janvier 1952, Port-Martin est désormais un site historique de l'Antarctique.
Depuis 1950, en mémoire de son engagement associatif au sein de la section parisienne du CAF, les « rochers J.A. Martin », dans le massif des Trois-Pignons (forêt de Fontainebleau), portent désormais son nom[40] : ils constituent la partie ouest du « rocher Cailleau », une zone présentant de nombreux blocs et chaos gréseux. On y trouve sept circuits d'escalade, du facile à l'extrêmement difficile, sur plus d'une centaine de blocs[41],[42]. L'endroit est familièrement dénommé « le [massif] J.A. Martin » ou « la [piste] J.A. Martin ».
En 1962, le Norsk Polarinstitutt a baptisé Martinkollen (« la colline Martin » en norvégien) un petit nunatak situé sur le flanc est du glacier Chydenius (sud de la Nouvelle-Frise, au Spitzberg)[43]. Le Martinkollen est à proximité immédiate du Valetteknausen, un autre nunatak de 1 020 m d'altitude[44], tandis que le Pommierryggen est une crête montagneuse qui leur fait face, sur le flanc ouest du même glacier[45]. Les trois explorateurs de 1946 se trouvent ainsi réunis dans un rayon de moins de 2 km[46].
En 1999, cinquante ans après la mort de J.A. Martin, un timbre de l'administration postale des Terres australes et antarctiques françaises (4 F bleu, noir et blanc, no 239 Yvert et Tellier) a commémoré son rôle dans le retour de la France en Antarctique[33].
↑ a et b« Très curieusement, André-Paul Martin s'est toujours fait appeler « J.-A. » » (Victor et Dugast 2015). L'origine des initiales n'a jamais été vraiment élucidée. Certains y lisent « Jean-André »(Vallette 1999), d'autres « Jacques-André » (interprétation la plus courante ; voir par exemple Martin-Nielsen 2023, chap. 5 : Science and Presence), d’autres encore « Jean-Antoine » (Modica et Godoffe 2017, p. 189), alors que les prénoms figurant sur l'acte de naissance sont bel et bien « André Paul ». Ce surnom ne semble pas être lié à de véritables initiales, mais résulte plutôt d’un obscur jeu de mots ou canular. On rencontre les deux graphies « J.-A. » et « J.A. ». La première respecte les normes typographiques concernant les initiales d'un prénom composé ; mais, comme il ne semble pas que c’en soit un, on a retenu ici la seconde, qui est en outre celle utilisée dans la signature manuscrite.
↑Archives de Paris, registre des naissances 1911 du 14e arr., acte no 6891 (vue 22/31).
↑Archives de Paris : registre des mariages 1888 du 9e arr., acte no 445 (vue 30/31) ; registre des naissances 1888 du 11e arr., acte no 5333 (vue 29/31) ; registre des naissances 1890 du 4e arr., acte no 925 (vue 25/31) ; registre des mariages 1911 du 11e arr., acte no 995 (vue 27/31) ; recensement 1926 du 3e arr., quart. Arts-et-Métiers, 35 rue de Turbigo (vue 256/352).
↑ abc et dArchives de Paris, registres matricules 1931, 3e bureau, matricule no 6550.
↑ a et bJ.-A. Martin, « En suivant la Haute Route », Camping plein air, , p. 4-6.
↑François Sergent, « La Haute Route : Chamonix-Zermatt à ski », Camping plein air, no 59, , p. 12-15 (lire en ligne, consulté le ).
↑Archives de Paris, recensement 1936 du 13e arr., quart. Croulebarbe, 37 rue Croulebarbe (vue 109/318).
↑J.-A. Martin, « Tourisme hivernal », Sports d'hiver, , p. 11 (lire en ligne).
↑ a et bJ.A. Martin, « En route vers la montagne ! Les itinéraires jalonnés, les accessoires et la montée », Sports d'hiver, , p. 3 (lire en ligne).
↑Voir par exemple « Programme des voyages collectifs, excursions, écoles d'escalades et causeries du au », Bull. trim. du CAF, section de Paris, no 31, , p. 5-12 (lire en ligne [PDF], consulté le ).
↑Et non pas « Groupe Frigidaire et Ascenseur », comme certains (dont Martin ?) s'amuseront à le dire (Vallette 1993, p. 16).
↑Voir par exemple J.A. Martin, « Éditorial », Le Bleausard, no 22, , p. 1-2 (lire en ligne).
↑Alain Pol, « Comment nous avons tourné l'Appel des cimes », La Montagne, no 333, , p. 45-51 (lire en ligne).
↑L'Appel des cimes [Court métrage N.B. sonore (extraits)], Alain Pol (réalisation), Georges Tairraz (images), André Laurent (montage), Richard Francœur (commentaires), Jacques Fuller (musique), Pierre Allain, J.A. Martin et Georges Bossez (conseillers techniques), Léo De Giovanni (production), Club alpin français (commanditaire) (, 22:47 minutes), Gap : Cinémathèque d'images de montagne, consulté le .
↑« Assemblée générale de la section de Paris du 26 février 1946 », Bull. trim. du CAF, section de Paris, no 1 (nouv. sér.), , p. 2 (lire en ligne [PDF], consulté le ).
↑Voir par exemple « Projets de voyages : ski de printemps en Silvretta », Bull. de la section de Paris-Chamonix du CAF, no 5, , p. 23 (lire en ligne [PDF], consulté le ).
↑Archives de Paris, recensement 1946 du 13e arr., quart. Croulebarbe, 37/39 rue Croulebarbe (vue 34/213).
↑Yves Vallette, « Spitsberg 1946 : le mont Général-Perrier – lever de reconnaissance à la planchette », Revue XYZ, no 67, 2e trimestre 1996, p. 77-82 (lire en ligne [PDF]).
↑Jean-Pierre Vivet, « « Nous sommes prêts à recommencer. Et cette fois, ce sera sérieux », nous dit M. Yves Vallette, un des trois jeunes Français qui ont découvert la plus haute montagne du Spitzberg », Combat, , p. 3 (lire en ligne, consulté le ).
↑Traditionnellement, les Expéditions polaires françaises dénomment TA 1 l'expédition de découverte menée par Dumont d'Urville en 1840.
↑Paul-Émile Victor, « Les explorations polaires », dans Louis-Henri Parias (dir.), Histoire universelle des explorations, t. IV : Époque contemporaine, Paris, Nouvelle librairie de France, , 446 p., p. 370.
↑Archives de Paris, registre des décès 1949 du 13e arr., acte no 4197 (vue 3/14). La transcription de l'acte de décès donne la position du Commandant Charcot au moment de la mort : 31° 10’ S. et 14° 3’ E.
↑« L'explorateur J.-André Martin est mort à bord du Commandant Charcot », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ).
↑« J.A. Martin », sur bleau.info, 2002-2024 (consulté le ).
↑(en) « Martinkollen », sur Norsk Polarinstitutt (consulté le ).
↑(en) « Valetteknausen », sur Norsk Polarinstitutt (consulté le ). (Dans le toponyme norvégien, Vallette est malencontreusement orthographié avec une seule l.)
↑(en) « Pommierryggen », sur Norsk Polarinstitutt (consulté le ).
Gilles Modica et Jacky Godoffe, Fontainebleau : 100 ans d'escalade, Les Houches, Éditions du Mont-Blanc, , 304 p. (ISBN978-2-3654-5032-4).
Djamel Tahi, Georges Gadioux et Jean-Pierre Jacquin, La Grande Odyssée : une histoire des Expéditions polaires françaises, Paris, Paulsen, , 238 p. (ISBN978-2-3750-2076-0).
Jean André Martin, « Expédition Sud » [vidéo], sur cinematheque-bretagne.bzh, Brest, : court métrage N.B. muet 35 mm sur l'expédition 1948-1949 (TA 2).